Le mystère de la muse oubliée : comment la statue en bronze de Picasso « La Poésie » disparaît et revient sans être reconnue

Imaginez : une précieuse sculpture de Picasso disparaît du jour au lendemain, puis réapparaît sous la forme d’un « buste de femme inconnu » dans les douves d’un château – et personne ne la reconnaît. C'est exactement ce qui s'est passé à Paris, et l'histoire qui se cache derrière est encore plus incroyable.

Tout commence par une histoire d'amour. Pablo Picasso, qui vit dans son atelier du 7, rue des Grands-Augustin – où il a également réalisé son célèbre « Guernica » (1937) – a une muse fascinante : Henriette Theodora Markovitch. Sous le nom de Dora Maar (1907-1997), elle fut non seulement sa compagne de 1935 à 1943, mais aussi une artiste remarquable à part entière – photographe et peintre.

En 1941, en plein Paris occupé, Picasso immortalise ses traits dans le bronze. Le buste, qui sera plus tard nommé « La Poésie » , était destiné à être un mémorial à son ami, le poète Guillaume Apollinaire. Aujourd'hui, elle se dresse – ou plutôt se dresse à nouveau – à côté de la plus ancienne église de Paris, l'abbatiale Saint-Germain-des-Prés, sur le square Laurent-Prache.

Pablo Picasso « La Poésie » sur le Square Laurent-Prache (photo : Klaus Lintemeier)

La première inauguration, le 5 juin 1959, n'aurait pu être plus dramatique : alors qu'André Salmon et Jean Cocteau assistaient solennellement à la cérémonie, André Breton prenait soudain d'assaut l'événement avec un groupe de surréalistes en colère. La raison ? Une querelle artistique et politique de plusieurs années avec Cocteau. Picasso lui-même et le nouveau ministre de la Culture André Malraux préfèrent rester à l'écart de ce chaos.

Mais le véritable drame ne commence que 40 ans plus tard, dans la nuit du 30 au 31 mars 1999. La statue de bronze disparaît sans laisser de traces. Des semaines plus tard, cependant, quelqu'un fait une étrange découverte : dans les fossés de la petite forêt de La Garenne, au-dessus du château de Grouchy, à cinquante kilomètres de Paris, repose un mystérieux buste de femme.

La suite des événements confine à l'absurde : la mairie signale la découverte à la DRAC (direction régionale des affaires culturelles), comme il se doit, mais personne n'évoque l'hypothèse selon laquelle il pourrait s'agir du Picasso volé. Le buste sera désormais exposé comme une simple pièce décorative dans le grand escalier de l'entrée principale du château jusqu'en février 2001. Les gens passent devant lui tous les jours sans se rendre compte du trésor qu’ils ont devant eux.

La solution vient finalement de l’artiste Ange Tomaselli. Avec un œil exercé, il reconnaît la signature indubitable du maître catalan dans le buste sans nom. Le 17 décembre 2001, « La Poésie » revient enfin chez elle, Square Laurent-Prache.

Cette histoire soulève des questions fascinantes : comment une œuvre de Picasso a-t-elle pu rester méconnue aussi longtemps ? Qui étaient les voleurs et pourquoi ont-ils simplement jeté la précieuse statue dans la forêt ? Et peut-être le plus étonnant : combien de chefs-d’œuvre se trouvent encore quelque part, méconnus, attendant d’être redécouverts ?

littérature

Brassaï (2023): Gespräche mit Picasso. – Kampa Verlag.

Clemenz-Kirsch, Gertraude (2023): Die Picasso-Bande der Pariser Avantgarde: Guillaume Apollinaire, Max Jacob und Jean Cocteau. – Morio Verlag.

Olivier, Fernande (1989): Picasso und seine Freunde: Erinnerungen aus den Jahren 1905–1913. – Diogenes Verlag.

Roe, Sue (2014): In Montmartre: Picasso, Matisse and Modernism in Paris, 1900-1910. – Fig Tree.

Rowley, Neville / Birmant, Julie / Oubrerie, Clément (2014): Pablo, le Paris. – Dargoud.

Schlesser, Gilles (2022): Picasso à Paris. – Parigramme.